Monsieur le président, Chers collègues,

Nous avons aujourd’hui à nous prononcer sur la « Première étape d’amplification de la zone à faible émissions (ZFE) sur le territoire de la Métropole de Lyon.»

Notre intervention s’inscrit dans une dynamique de prise de position commune avec l’ensemble des élus Progressistes et Républicains de la Ville de Lyon et de la ville de Villeurbanne pour nous opposer à votre vision et non au principe de la ZFE, car faut-il le rappeler, elle a été mise en place par la précédente majorité, sous l’autorité du président David Kimelfeld.

De nombreux avis ont été rendus par les communes concernées, et tous ont souligné des manques dans votre projet, notamment dans son volet social. Nous souhaitons vivement que ces réserves formulées de manière trans-partisane par des élus d’opposition mais aussi de votre majorité, puissent être prises en compte. Malheureusement, nous commençons à connaitre votre façon de procéder que je qualifierai d’indifférence méprisante à nos propositions, et nous n’avons donc que peu d’espoir en la matière.

Nous ne reviendrons évidemment pas sur la nécessité de poursuivre le travail que nous avions engagé il y a plus de 6 ans maintenant. C’est une tache de longue haleine que nous avons menée et nous sommes bien entendu favorables au principe d’une ZFE, et à une amélioration de la qualité de l’air. Ce n’est pas le fond qui nous pose problème, mais bien la forme.

Nous restons particulièrement attentifs à l’acceptation de la ZFE par nos concitoyens, condition essentielle à sa réussite selon nous.

Concilier transition écologique et justice sociale et prendre en compte les plus précaires et les plus modestes y compris les classes moyennes doit être au centre de nos réflexions si nous ne voulons pas transformer cette Zone à Faibles Émissions en Zone à Forte Exclusion.

On nous annonce que cette extension de la ZFE ne va concerner « que » 18 565 véhicules Métropolitains classés en Crit’Air 5 ou non classés.

Ces véhicules qui vont donc devoir « s’évaporer » de notre Métropole comme vous aimez nous le rappeler, sont majoritairement détenus par les populations les plus pauvres. Il est donc essentiel de les accompagner financièrement, sous peine de les accabler encore plus par un isolement forcé.

Mais au-delà du fait que c’est justement parce que le parc de véhicules anciens serait relativement réduit, que vous pourriez faire un effort plus conséquent pour les populations plus modestes, cette vision étriquée du périmètre des aides incarne parfaitement votre incapacité à faire état de la réalité, menant, ça devient malheureusement une triste habitude, à des politiques hors sol.

Concrètement, d’ici quelques mois c’est bien plus de 18 000 véhicules qui vont être concernés par la ZFE. En effet, la délibération précise que les aides sont ouvertes aux « résidents de la ZFE ou métropolitains travaillant dans la ZFE ». Cela occulte complètement toutes les personnes qui habitent en dehors de la Métropole, et qui doivent s’y rendre notamment pour y travailler. Ce sont ces personnes qui vont évidemment être concernées au premier chef par le fait de ne plus pouvoir venir en voiture au sein de cette ZFE. Et à toutes ces personnes, rien n’est proposé. Avec vous ce n’est pas circulez il n’y a rien à voir, c’est ne circulez pas, il n’y a rien à voir.

Prenons l’exemple de Madame Z. Elle a 30 ans. Elle est infirmière à l’hôpital de la Croix Rousse et vit à Trévoux hors métropole. Elle ne veut pas déménager à Lyon et de toute manière elle n’en n’a pas les moyens.

Elle commence sa journée de travail à 6h30. Pour arriver à l’heure, MADAME Z a acheté il y a 2 ans une Renault Clio 2 d’occasion à 1500€.

1500€, c’est aussi ce qu’elle gagne chaque mois. C’est un diesel et cette voiture a été immatriculée en 2000. C’est donc une Crit’air 5. Dans moins de 8 mois, MADAME Z ne pourra plus entrer à Lyon avec sa voiture, ni même arriver à l’heure au travail. On lui parle d’un Bus à Haut Niveau de Service qui devrait arriver un jour, si vous avez la volonté de poursuivre le travail que nous avions entamé avec la Région. Mais pour l’instant, le premier bus part de Trévoux à 6h30, elle doit le prendre jusqu’à St Germain au-Mont-d’Or où elle doit prendre un autre bus pour rejoindre le métro A à Bellecour, puis le métro C d’Hôtel de Ville jusqu’à la Croix Rousse.

Aucune alternative acceptable ne lui sera proposée, et comme nous venons de le souligner, aucune aide non plus.

Quant aux autres propriétaires de véhicules anciens, légèrement plus chanceux car habitant la Métropole, les réponses concrètes immédiates qui leur sont proposées ne sont pas acceptables.

Un autre exemple : Monsieur X, 60 ans, agent d’entretien au collège Gabriel Rosset à Gerland. Lui aussi il commence le travail tôt, Monsieur X habite à la Duchère depuis toujours. Pour aller au travail, il doit faire au moins 1h00 de transports en commun (Bus 19, Metro D, Tram T6).

Aller-retour, chaque jour, il fait plus de 2h de transports en commun et de marche dans la journée. Comme ça devient un peu dur, il a décidé d’acheter un Renault Scénic 2005 d’occasion, environ 3500€, soit presque 2 mois de salaires pour lui. Ça lui permet aussi de transporter ses petits-enfants lorsque cela est nécessaire.

Son véhicule Crit’air 4 sera interdit d’ici 2 ans, si vous maintenez les propositions que vous avez faites lors de la concertation publique. Dans 2 ans, il ne sait pas s’il pourra de nouveau dépenser 3500 euros pour s’acheter une nouvelle voiture pour ses dernières années de travail avant la retraite.

À tous ces citoyens métropolitains qui demain devront se séparer de leur véhicules que leurs dites-vous ?

Pour espérer bénéficier d’un reste à charge relativement faible et d’une aide de 2000€ il faudrait surtout ne pas dépasser 6 300€ de revenu fiscal de référence par part, revenu qu’un salarié au SMIC vivant seul dépasse fort heureusement, ce qui est donc totalement déconnecté des réalités !

Achetez-vous un vélo électrique avec l’aide de 500€, c’est proportionnellement bien plus rentable que les 2000€ maximum d’aide pour une voiture.

Et si vous ne pouvez pas acheter de nouveau véhicule, privilégiez la marche à pied. Ça vous entrainera car pour le Métro, vous avez bien compris que vous pouvez toujours courir !

Bien sûr il est aujourd’hui essentiel de faire évoluer nos pratiques et de questionner la place de la voiture dans nos villes, mais nous devons le faire en intégrant pleinement les contraintes économiques des habitants et la capacité de la collectivité à fournir des alternatives crédibles à la voiture.

Si nous ne voulons pas simplement attendre des évolutions technologiques futures, nous ne pouvons pas nous satisfaire d’une solution en demi-teinte, qui offre aux plus aisés le confort d’une voiture électrique et laisse les plus modestes et les classes moyennes littéralement sur le bord de la route, dans l’attente illusoire de solutions alternatives crédibles.

Nous ne pouvons pas exiger de nos concitoyens la même chose, sur la transition écologique, quels que soient leurs revenus.

Aujourd’hui qui a les moyens de remplir son frigo d’une alimentation bio ?

Qui a les moyens de se vêtir et de vêtir ses enfants en coton durable et responsable ?

Qui a les moyens d’acheter un véhicule électrique ?

Sûrement pas les personnes données en exemple dans notre intervention, exemples qui sont malheureusement loin  d’être de simples exceptions.

C’est pourquoi nous défendons une écologie sociale avec une responsabilité commune et différenciée.

Nous refusons cette écologie autoritaire qui est prônée par le maire de Lyon et par vous-même monsieur le président, et qui met mal à l’aise les élus de l’aile gauche de votre majorité, obligés d’adouber des politiques en lesquelles ils ne croient pas, comme nous avons pu le voir encore récemment sur le sujet de l’allotissement pour les transports en commun par exemple. Cette écologie qui impose à chaque individu, même les plus fragiles, d’endosser une responsabilité qu’il n’a pas les moyens de porter.

Je ne paraphraserai pas ici le candidat communiste à l’élection présidentielle qui martèle qu’il est «d’une gauche populaire qui préfère donner les moyens aux Français d’avoir un véhicule propre plutôt que de les assigner à résidence ». Mais c’est bien cet esprit que nous avons vu se dessiner dans les nombreuses réserves émises au sein même de la majorité métropolitaine, et notamment par les maires de Villeurbanne, de Vaulx en Velin et de Vénissieux. Nous nous inquiétons du fait que ces remarques ne seront pas intégrées dans cette nouvelle ZFE, et qu’une partie des populations les plus fragiles se verra donc une fois de plus exclue et empêchée.

Mesdames et messieurs les maires, réfléchissez bien ! En 2026, vous serez les garants de cette situation, et les effets de cette ZFE sans accompagnement social se feront fortement sentir.

Il semble que cette ZFE se dirige dans la même direction que la « zone apaisée » de Paris, dont l’adjoint vert chargé des mobilités nous explique qu’il « faudra prouver qu’on avait quelque chose à y faire, avec un ticket de caisse par exemple si on allait y faire ses courses ». Une vision totalement aberrante qui tend vers un permis de circuler dans la ville, à ce compte-là autant ériger des murs autour de notre Métropole !

Non, le droit de circuler fait partie des libertés fondamentales et la collectivité n’a pas le droit de pénétrer ainsi dans la vie privée de chacun.

Nous demandons à minima avant toute mise en œuvre, tout comme cela a pu être demandé par d’autres groupes, qu’une étude sur les tarifs des transports en commun soit lancée. Et que vous définissiez plus précisément votre politique en matière de parcs relais car la aussi et c’est devenu une habitude, nous somme dans le flou le plus total.

Nous ne voterons donc pas cette délibération, car ce serait signer un chèque en blanc sans aucune assurance sur les mesures qui accompagneront cette ZFE et qui pourraient apporter des garanties aux plus modestes et aux classes moyennes.

N’entrainez pas notre Métropole sur la voie de la décroissance. Ne mettez pas l’ascenseur social dans le sens de la descente.

Je vous remercie.

Jean-Luc Da Passano