Émilie Prost

Monsieur le Président,

Chers collègues,

A mon tour et sans surprise, je précise que j’interviendrai également au nom des groupes Inventer la métropole de demain, Synergies, élus et citoyens, et la Métropositive.

Nous devons délibérer aujourd’hui sur la tarification solidaire et environnementale, et nous pouvons tout d’abord nous interroger sur le caractère avant tout solidaire de cette tarification. Comme le dit bien l’expression attribuée à Talleyrand « ce qui va sans dire va mieux en le disant », mais ici on pourrait dire que tout ce qui n’est pas fait va tout de suite mieux en disant que c’est fait !

Malgré une volonté politique affichée et des instances mises en place : assemblée des usagers, groupes de travail…, et sans revenir sur la méthode, il apparaît aujourd’hui que la tarification proposée est bien timide sur le plan de la solidarité, et n’est d’ailleurs pas plus cohérente ni incitative pour inciter à la sobriété.

Votre majorité nous parle d’universalité de l’eau, concept philosophique que nous aurions du mal à comprendre ! Au contraire, j’ai pour ma part apprécié certains échanges et j’ai toujours défendu le principe d’accès à l’eau pour tous énoncé dans la charte du droit à l’eau, et toutes les initiatives permettant notamment aux personnes sans domicile d’avoir accès à un point d’eau suffisant. J’estime d’ailleurs que le conseil d’administration de la régie de l’eau s’honore en contribuant à la mise en œuvre de ce principe, toute tendance politique confondue.

Nous savons que pour certaines associations notre réticence se résume ainsi : « Certains pensent qu’il faut donner uniquement à ceux qui en ont besoin. C’est le débat entre l’universalité des droits et la charité. » (je cite un représentant des usagers).  

Puisque nous aussi nous aimons le débat je dirais que c’est surtout la notion de justice sociale que nous défendons et qui sous-tend de nombreux concepts de notre société que ce soit la progressivité de l’impôt, les prestations sociales et le quotient familial. Ou alors, certains aimeraient mettre en place un revenu universel et supprimer toute la redistribution mais nous ne sommes pas ici dans un atelier d’échanges en sciences politiques, qui ne changera pas la vie des Grand-lyonnais !

Concrètement, si la gratuité se justifie totalement pour les besoins vitaux et d’hygiène des personnes en grande précarité, vous allez l’étendre pour 33 litres par jour soit 15,36€, une somme qui restera modique pour ceux qui n’en ont pas besoin. Surprenant alors vous refusez d’étudier le principe de la gratuité des transports alors même que cette mesure, si elle est difficilement viable, aurait au moins, elle, un impact écologique.

Ici, nous parlons de la tarification de l’eau et c’est bien les abonnés, peu importe la composition de leur foyer et leurs revenus, qui vont être impactés et étaient en droit d’attendre plus d’ambition !

Sans revenir sur la structure globale de la tarification, il est aisé de voir que ces 6,4 millions affectés à la tranche gratuite laissait une grande latitude à une refonte de la tarification. A la place, cette tranche gratuite qui profite à tous ne va pas dans le sens d’une incitation à la sobriété, et pourrait même entraîner une surconsommation tant que l’effet dissuasif d’atteindre le palier de 180m3 demeure éloigné ! En dépit de la communication, cette tranche va donc à l’encontre des objectifs de solidarité mais aussi d’éco-responsabilité, principe qui doit engager chaque usager à la hauteur de ses moyens.

Et pourtant –  et cela aurait aussi pu être le cas en restant en DSP – une nouvelle tarification plus juste, solidaire et bien sûr progressive afin d’inciter à la préservation de la ressource en eau aurait pu voir le jour et je pense aurait fait l’objet d’un consensus.

Oui plus juste car ces 33 litres par jour sans tenir compte des besoins d’un foyer n’ont aucun sens avec la solidarité que vous prônez. Vous savez que nous n’avons pas coutume de faire de la politique nationale ici, et mon propos n’engagera peut-être pas tous nos groupes, mais qu’auriez-vous pensé si l’Etat avait versé un chèque énergie du même montant à l’ensemble des foyers sans tenir compte de leur situation ?

Après le chèque énergie justement, que certains critiquaient pourtant ici pour son insuffisance, c’est le « virement eau » qui trouvera à s’appliquer dans notre métropole ! Nous arrivons ainsi au cœur de la tarification solidaire, estimée à 4 millions d’euros, alors même que la tranche gratuite qui n’est donc pas solidaire représente 6,4 millions d’euros. L’inverse aurait au moins permis de démontrer votre priorité, ce qui n’est donc pas le cas car les chiffres parlent d’eux-mêmes.

  • Nous souhaitons beaucoup de courage au personnel de la régie qui va devoir se rapprocher des services de la CAF, de la CARSAT et de la MSA, pour calculer a posteriori si la facture d’eau excède 3% des revenus du foyer. Cette prestation qualifiée de préventive sera-t-elle bien ciblée alors même que nous ignorons les charges de logement et les autres charges contraintes du foyer, notamment en matière d’énergie ?
  • Nous savons que la loi ne vous permet pas actuellement de connaître la composition de chaque foyer abonné, mais une tarification solidaire sur la base de la transmission d’un avis fiscal ou d’un autre justificatif, comme pour les abonnements TCL, aurait été une piste à étudier.
  • Enfin, puisque la prévention semble être l’objectif, rappelons que les travailleurs sociaux de la métropole et des communes pourraient aussi être un relais dans le cadre de l’accès au droit à une tarification solidaire, comme ils le font déjà dans le cadre des dossiers du Fonds de Solidarité Logement.
  • Pour conclure sur ce point, une partie de l’assemblée des usagers est également dans le doute sur ce dispositif qui ne recueille que 3 étoiles sur 5 en termes de niveau d’adhésion. Si la majorité de l’assemblée des usagers, que l’on imagine très proactive sur une démarche de solidarité, s’est prononcée favorablement, de nombreuses réserves sont émises du fait d’une « technicité rendant son appropriation plus difficile », d’un « saupoudrage » et d’un manque d’« accompagnement et se sensibilisation de tous les usagers à la sobriété et aux éco-gestes ».

Nous pourrions poursuivre sur la question de l’abonnement pour lequel l’impact tarifaire est moindre pour les gros consommateurs mais nous arriverions à un autre débat sur l’incitation à une consommation plus responsable et donc à la réalité d’une tarification réellement environnementale !

« Tout cela pour pas grand-chose », c’est le résumé que nous pourrions faire de cette délibération qui malgré la communication réalisée en amont autour de l’«eau publique » nous semble déconnectée des besoins réels et met en place une tarification qui ne se donne pas les moyens de ses ambitions.

Encore une fois nous souhaitons contribuer au débat d’une manière constructive et soutenons de longue date la mise en place d’une tarification réellement solidaire et environnementale comme cela a pu être mis en place dans d’autres collectivités.

Ainsi nous vous proposerons ainsi qu’à l’ensemble de nos collègues un amendement qui cible ces objectifs de solidarité, d’éco-responsabilité et de progressivité, à la hauteur des engagements et de l’efficacité qu’attendent les Grand-lyonnais.

Je vous remercie.